CYBERATO Alter-perspectives disputables

NICOLAS Georges

  • Traduire, interpréter et fabriquer des "cadavres exquis" : zentrale Orte (1933), central places (1957-1966), lieux centraux (1964), places centrales (1973), località centrali (1980)

    Date de publication : 16-01-2015
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    professeurs honoraires

    Il n’y a pas chez Walter Christaller un niveau épistémologique (la formulation de la théorie) autonome de niveaux idéologiques (les applications de la théorie) qui justifierait de traiter tout ou partie de sa « théorie » des lieux centraux indépendamment de ses tentatives de l’utiliser pour aménager espace.

    Pour Walter Christaller un « lieu » (« Ort ») est un concept géographique à la fois concret et abstrait : lieu d'activité, lieu de fonction, localisation. S’il est « central », les marchandises et les services qui sont distribuées depuis ce « lieu » engendrent une  région complémentaire « idéale » en forme de cercle. Les formes « normales » du triangle et de l’hexagone s’inscrivent dès lors dans ce cercle car elles sont une solution « évidente » à la localisation la plus rationnelle des autres lieux centraux équivalents autour de ce lieu initial. Ainsi, la « haute rationalité » de l’ordre central permet à Walter Christaller de transformer « l’optimalité spatiale » en une « normalité » à la fois paradigmatique et pratique. Cette « normalité » scientifique spatiale lui permet d’une part de qualifier de « pas normales » (« nicht normale ») les observations empiriques qui contredisent sa théorie et d’autre part de justifier le retour « normal » des lieux centraux perdus par l’Allemagne en Alsace par l’« optimalité spatiale » conforme à une « haute rationalité » à la fois scientifique, pratique et politique.

    Par conséquent, séparer la « théorie christallérienne » et les « modèles christallériens » de la pratique opportuniste et totalitaire de Walter Christaller nie l’unité de sa pensée pour la débiter en morceaux contingents. Le choix de détacher ainsi certaines parties du discours global de Walter Christaller a été favorisé par la traduction de Die zentralen Orte in Süddeutschland (1933) en anglais (Carlisle Whiteford Baskin : 1957-1966) puis en italien (Elisa Malutta et Paola Pagnini : 1980). Ces traductions orientées et incomplètes ont favorisé la diffusion de deux affirmations déterminantes pour la compréhension et l’utilisation de cet ouvrage.

    1) Les schémas triangulo-hexagonaux de Walter Christaller seraient mathématiquement « évidents ».

    2) August Lösch aurait « généralisé » Walter Christaller dans Die räumliche Ordnung der Wirtschaft(1940-1944).

    Or, il a été démontré mathématiquement en 1986 que les schémas géométriques de Walter Christaller ne résolvent pas le problème de distribution de la « marchandise centrale » à partir d’un « lieu central » tel qu’il l’a posé en 1933. En plus, en 2009, il a été prouvé graphiquement que l’axiomatique d’August Lösch est incompatible avec le principe initial de Walter Christaller, en dépit de la similitude de leurs schémas triangulo-hexagonaux.

    C’est Walter Christaller lui-même qui est à l’origine de la croyance qu’August Lösch a « généralisé » son « système de lieux centraux » (1941). Pour essayer de convaincre les responsables nazis du « Commissariat du Reich pour le renforcement du peuple allemand » (RKF) de la supériorité de son système des lieux centraux pour planifier spatialement les territoires conquis à l’Est, Walter Christaller oppose ses « principes concrets » (approvisionnement, trafic, administration : 1933 ; ethnicité : 1941) aux « formules abstraites » d’August Lösch (1940). D’après lui, ces abstractions ont certes « généralisé » ses principes mais n’ont pas fourni une solution universellement valable pour réaliser un « ordre spatial pratique » (« die praktische Raumordnung »), « forme élémentaire de « l'ordre d'appartenance commune » [qui] est, dans la nature inorganique et organique, l'ordonnance d'une masse autour d'un noyau, d'un centre : un ordre central (eine zentralistische Anordnung). »

    Après la deuxième guerre mondiale Walter Christaller insiste sur le fait que la « généralisation » de son système des lieux centraux a été faite par August Lösch sur la base d’observations effectuées aux Etats-Unis avant 1940. Il renouait ainsi les relations ébauchées dès avant et au début de la deuxième guerre mondiale (1940-1941) entre l’Allemagne et les États-Unis et il s’insérait dans la réconciliation atlantique anti-communiste ou anti-marxiste postérieure au conflit. Cette proximité affichée et réaffirmée en 1968 fournissait matière à un « Persilschein » (document servant à blanchir les anciens nazis, à l’instar de la célèbre marque de lessive de l’époque) et contribuait à sa réinsertion scientifique et politique dans le cadre de la « politique de liquidation du passé » (« Vergangenheitspolitik ») de l’Allemagne fédérale après la fin de la deuxième guerre mondiale.

    L’acceptation de « l’évidence » des schémas théoriques de Walter Christaller et de l’affirmation qu’August Lösch a « généralisé » ses principes fait partie de la « normalisation » et de « l’immunisation » du « système des lieux centraux » considéré comme une « science normale » en Allemagne après 1945 ainsi que dans beaucoup d’autres pays du monde dans les années 60-70. En dépit de ses critiques et réserves sur la validité scientifique des idées du théoricien de « lieux centraux », Carlisle Whiteford Baskin a participé à la pratique consistant à fractionner le contenu de Die zentralen Orte in Süddeutschlandpour effectuer des recherches sur ces éléments disjoints, la succession chronologique de ces recherches donnant la fausse impression de respecter le texte et les schémas originaux de Walter Christaller. La tradition c’est ainsi instaurée de fabriquer des « cadavres exquis » à la manière du jeu consistant à faire composer une phrase, ou un dessin, par plusieurs personnes sans qu'elles tiennent forcément compte des contributeurs précédents.

    La traduction favorise l’utilisation de cette méthode. Tout d’abord le traducteur change le sens du texte original ou le fractionne puis l’utilisateur y ajoute ce qu’il veut et lui donne une nouvelle unité. Mais cette manipulation n’explique pas tout. Il faut également tenir compte des compétences et aussi parfois du désir de s’approprier une autorité scientifique supposée, surtout si cette autorité a changé de « camp ». Si on condamne la pratique nazi de Walter Christaller en la qualifiant de « satanique » en omettant volontairement de la mettre en relation avec sa pensée scientifique, on ouvre la voie à toutes les falsifications formulées en se servant de cette séparation entre idéologie (les applications de la théorie, simples égarements circonstanciels) et épistémologie (la théorie reste valable en dépit de ces égarements). Réciproquement, critiquer le contenu scientifique de la pensée de Walter Christaller en faisant abstraction de ses propositions d’applications ne permet pas de comprendre le contenu scientifique réel de sa théorie et empêche de la falsifier en s’attaquant à son noyau : sa prétendue « normalité » métaphysique, mathématique et paradigmatique au point que ses schémas spatiaux  triangulo-hexagonaux seraient « évidents » et ses « principes » toujours universellement valides.

    La présentation globale des approches successives de la problématique de la théorie des lieux centraux à travers les traductions et les transpositions linguistiques du contenu de Die zentralen Orte in Süddeutschland n’est pas seulement métaphorique, voire non rationnelle, mais introduit à une compréhension de la logique de l’enchaînement des réinterprétations qui ont orienté la recherche internationale sur la « centralité » pendant la deuxième moitié du XXe siècle source de ses avatars postérieurs au XXIe siècle.

  • Re : PEER REVIEWS : ACME : “Open access” and “Open science”

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    ACME is an “open access” but not an “open science” E-Journal. In “open access”, the “experts” (reviewers) have absolute censure powers, while in “open science” the articles are first published and then valued; as a result, there is no preliminary censure.

  • PEER REVIEWS : ACME : « open access» et « open science » dans une « peer review »

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    Chez ACME (An International E-Journal for Critical Geographies) la « critique » s’exerce contre toutes les géographies et tous les géographes que la « peer review » ne juge pas « anarchist, anti-colonial, anti-racist, environmentalist, feminist, Marxist, non-representational, postcolonial, poststructuralist, queer, situationist and socialist perspectives. » Scientifiquement ACME n’est pas différente des revues publiées par ses ennemis idéologiques. Tout peut être critiqué dans ACME, sauf le contenu d’ACME. La « géographie critique » d’ACME est une géographie institutionnalisée ou des enseignants-chercheurs pleinement intégrés ou en cours d’intégration dans une institution universitaire ou scientifique abandonnent l’exercice de la critique quand elle est susceptible de nuire à leur carrière. ACME une revue militante ; ce n’est pas une revue scientifique.

  • Unité scientifique , unité idéologique

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    Est-il possible de minimiser les liens entre les scientifiques allemands du XXe siècle et l’idéologie nazie en proclamant qu’il ne faut pas « jauger trop hâtivement leurs constructions théoriques à l’aune d’étiquetages politiques » (Elsa Vonau, « A la recherche de l’unité perdue », Transeo 2-3, 2010) ?

    Contrairement à cette opinion, nous estimons qu’on ne peut pas isoler les processus épistémologiques de leur contenu idéologique. Ainsi, le repérage et le décodage des liens entre les idées scientifiques et l’idéologie nazie chez Walter Christaller et August Lösch sont essentiels pour comprendre ce qu’ils ont transmis ensuite à plusieurs générations de chercheurs. Ignorer ou nier ces liens dévalorise les longs efforts réalisés par des chercheurs allemands actuels qui sont retournés aux textes initiaux et qui ont utilisé les archives de l’époque nazie.

    Isoler pour des raisons épistémologiques le contenu scientifique d’une pratique idéologique revient à utiliser un autre étiquetage politique implicite a priori qui aboutit à d’autres contre-sens épistémologiques tout aussi susceptibles d’être suspectés.

    Pour étudier la théorie des lieux centraux et ses prolongement dans les théories de la centralité et les théories de l’aménagement du territoire il est nécessaire de pratiquer une méthode globale à la fois historiquement et épistémologiquement contextuelle. Dans ces théories, souvent abusivement confondues ou assimilées les unes aux autres, les idées scientifiques sont inséparables des idéologies de l’époque pendant lesquelles elles ont été formulées. Les idées totalitaires qui les ont nourries survivent dans les pseudo théories scientifiques qu’elles ont transmises.

     

     

  • Tout-Terre et Tout-Monde versus Monde-Point et Monde-Difforme

    Date de publication : 01-05-2013
    Auteurs : 
    Activité: 
    professeur honoraire
    Adresse: 
    15 rue Alfred de Musset 25300 PONTARLIER

    L’Einleitung zur allgemeinen vergleichenden Geographie (1852) rassemble sept textes publiés par Carl Ritter entre 1818 et 1852. Cette Introduction à la géographie générale comparée a été traduite dans son intégralité en 1974 par Danielle et Georges Nicolas-Obadia (1974).

    Les trois textes suivants publiés en 2005 par Anne Bretagnolle et Marie-Claire Robic utilisent un de ces sept textes : « Du facteur historique dans la géographie en tant que science (1833) ». Sur la base de l’utilisation partielle de ce texte les auteures proposent une interprétation des conséquences géographiques de la « Révolution des technologies de communication et représentations du monde » du XIXe au XXIe siècle exprimées sous la forme de « visions » du monde schématisées à l’aide de représentations graphiques.

    Selon Anne Bretagnolle et Marie-Claire Robic, Carl Ritter aurait été l’instigateur des deux plus anciennes « visions » : le « monde point » et le «monde déformé ». Cette interprétation ignore les recherches historiques et logiques menées depuis 1974 après publication de la traduction de l’Einleitung zur allgemeinen vergleichenden Geographie. Le but de cet article est d’examiner les trois textes d’Anne Bretagnolle et Marie-Claire Robic en tenant compte des résultats des recherches menées entre 1974 et 2005 ainsi que celles postérieures à 2005.

    Bretagnolle, Anne et Marie-Claire Robic (2005). « Révolution des technologies de communication et représentations du monde. 1 : Monde-point et monde difforme. » L'information géographique 69: 150-167 (abréviation : AB-MCR (2005), 1).

    Bretagnolle, Anne et Marie-Claire Robic (2005). « Révolution des technologies de communication et représentations du monde. 2 : Du petit monde au monde sans échelles. » L'information géographique 69: 168-183 (abréviation : AB-MCR (2005), 2).

    Bretagnolle, Anne et Marie-Claire Robic (2005). « Révolution des technologies de communication et représentations du monde. 3 : Au risque de l'expérimentation. » L'information géographique 69: 5-27 (abréviation : AB-MCR (2005), 3).

    Ces textes sont également en ligne sur : http://halshs.archives-ouvertes.fr:

    http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/15/27/74/PDF/art1envoi2.pdf

    http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/15/27/91/PDF/envoi2art2.pdf

    http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/15/28/19/PDF/bretagnolle_robic_.pdf

     

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